Democratus interuptus

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Deux phénomènes se sont téléscopés en cette fin de mars 2011 : le refus des votants d'exercer leurs droits aux cantonales en France et le refus d'un candidat ivoirien d'accepter la décision issue du vote des ivoiriens.
Les hommes politiques français se sont tous prononcés en faveur du respect de la décision des votants en Côte d'Ivoire : il faut qu'il dégage, et vite fait. Sinon on envoie le Charles de Gaulle ! Et on bombe tout ! D'ailleurs ils l'ont fait. Soit. 
Pourtant les hommes politiques n'ont pas crié aussi fort quand le taux d'abstention a monté une énième fois dans ces élections cantonales. On pourrait s'étonner de ça - c'est quand même leur business qui est en question - et puis le respect de la démocratie est également remis en question. Mais s'agit-il bien de ça ? Les hommes politiques sont-ils vraiment mis en danger par cette baisse ?
Un homme politique doit séduire, comme un demandeur d'emploi, un homme célibataire, une femme célibataire, un homme qui ne veut pas redevenir célibataire, une femme mariée, une femme qui n'a plus envie d'être mariée, un enfant qui veut une xbox 360 ou un père qui veut obtenir la garde partagée.
Comme tout le monde, donc.
Mais l'homme politique est prêt à pas mal de choses pour se faciliter la séduction (comme tout le monde, oui...) et notamment la réduction des effectifs à séduire est une sympathique perspective à laquelle tout bon prévaricateur ne saurait renoncer sans une petite larme sincère. 100.000 votants sont plus faciles à séduire que 200.000, 5.000 que 20.000 et quand il y n'y en a plus que 1.000, alors pourquoi ne pas carrément les acheter ?
Oui, vous savez, comme dans les sondages dont on interprète les résultats en fonction de la commande de celui qui a payé... 1000 sondés suffisent - un phantasme partagé par tous les candidats - pour prétendre qu'on à la "tendance nationale", alors pourquoi en faire voter 64 millions ? On va faire voter 1000 citoyens "représentatifs", comme si votre voisin qui met du Patrick Fiori a donf' le dimanche matin pouvait coexister dans le même panel que vous sans que vous trouviez ça insultant, et on va se servir de ce levier pour décourager les autres de se déplacer à la mairie... On va mettre mille personnes derrière les "pourcents", leur faire dire ce qu'on veut, et ensuite on va espérer que de moins en moins de "représentatifs" aillent voir dans les urnes si ils y sont.
Les sondages sont des prophéties auto-réalisatrices, une prédiction qui manipule le futur, une projection qui matérialise une réalité qui commence à nous échapper, une fois inscrite en nombres sur un graphique, et tend à nous ôter le pouvoir de la modifier.
Le déni de réalité commence par le changement des vraies unités par de nouvelles, des pseudo-unités, les "pourcents". C'est pratique les pourcents, on dirait que c'est une vraie unité, comme les Kilos, les secondes, les Euros ou les Becquerels alors qu'en fait c'est la moitié d'une comparaison. Ça veut dire quoi ? Bah rien : la moitié d'une comparaison n'est pas une comparaison, ça ne veut rien dire. "Une participation de 40%" - 40% de quoi ? C'est la seule question valable quand on nous parle de pourcentage. Augmenter de 20%, baisser de 5% n'ont aucun sens. Et ce n'est pas non plus une addition, mais une multiplication. "Le nombre de votants pour M. X a été multiplié par 1,5 ou 0,2" serait plus honnête. Mais moins séduisant.
La seconde étape est le "championnat". Les unités permettent d'établir des scores, avec une ligne d'arrivée, des bouteilles de champagne, des bimbos décérébrées et des couronnes de fleurs en plastique véritable. 
M. X à fait 18%, M. Z 15% ! Ouhhhhh !!! En fait M. X a recueilli 50.000 votes sur toute la France (chuuut !) et même si son "pourcent" a augmenté, il avait également 50.000 personnes qui kiffaient sa tête ya 5 ans (rhoooo!). Oui : les votants sont restés plus nombreux devant télé crétin donc il y a moins de votants mais autant de votes pour M. X et alors magie ! le "pourcent" de M.X a subi une "augmentation" sidérante ! Oui, tellement sidérante que rien n'a augmenté à part un nombre exprimé dans une unité qui n'en est pas une... Et pendant ce temps on a réduit le nombre des mécontents en même temps qu'on a augmenté la facilité à manipuler le peu qui reste.
La dernière étape pourrait être l'avenir : un suffrage censitaire basé sur l'interprétation que pourront faire les votants des discours politiques codés et stéréotypés. Des votants high-tech qui auront suffisamment de moyens pour aller dans des écoles où on apprend réellement a réfléchir et décrypter des discours economiques absurdes. Suffisamment peu d'ambitions financières pour aller dans des cursus où on n'enseigne pas que le marketing et la psychologie inversée. Suffisamment de curiosité pour aller lire des gros livres ou ya pas d'images et plein de vrais chiffres. 
Ça fera pas grand'monde... "Et c'est pas plus mal", pourront dire les politiques de métier qui auront tous eu à choisir entre une carrière dans la finance et une comme homme d'État et qui seront encore moins disposés qu'aujourd'hui à se faire virer des bonnes places par des gens qui gagnent dix fois moins qu'eux et qui ne vont jamais jouer au tennis.
La démocratie est une utopie en action ; c'est en la pratiquant qu'on lui donne corps. La forme de démocratie établie en France est une monarchie élective et pas un système par votations : peut-être faut-il la changer. Ce n'est cependant qu'un candidat élu qui pourra agir pour la changer de l'intérieur. L'alternative est une révolution, mais quel internaute a réellement envie d'une révolution ?
La conclusion logique est qu'il faut aller voter, peut importe pour qui, car le plus important n'est pas qui est élu, mais bien que le résultat de l'élection soit respecté par les perdants, quoiqu'il arrive. Un vote, quel qu'il soit, fait baisser le pourcentage des votes de tous les autres candidats : c'est le seul moyen efficace de montrer qu'on les désapprouve. C'est cela qui montre l'âme de la démocratie : le verdict provenant de la manifestation de la volonté du peuple est souverain et doit être honoré, reconnaissant ainsi qu'un dirigeant ne dirige qu'au nom de ceux qui l'ont élu et qu'il n'a de pouvoir que le leur. Il se soumet aussi bien quand le peuple lui enlève sa confiance que quand il la lui confie.
C'est ce genre de notion qu'il faudrait expliquer de nouveau aux candidats ivoiriens, par exemple. Non parce que cela montre aux français combien ils ont la chance de pouvoir voter ni aux ivoiriens comment ça marche la démocratie - les ivoiriens votent aussi, et en masse - mais bien parce que tous les candidats ivoiriens n'ont pas compris pourquoi on vote vraiment et, vus les taux d'abstention récents, les électeurs français non plus.
En épilogue, une dernière option pour remplacer cette classe de monarques intérimaires ? Le Sceptre du Hasard, pas mal ça, ou bien la Loterie Solaire, oui, aussi...

1 commentaire:

Barnabé K a dit…

Beaucoup de choses dans ton "Democratus interuptus" Surtout le titre ! Si c'est un nouveau coït fabriqué par tes amis scientifiques y a carlito qu'est preneur pour passer cobaye! Quant à moi je suis sur que je suis venu ici parce que j'avais quelque chose à dire... mais quoi?
Barnabé.