Compliance

Compliance, de Craig Zobel, sorti en salles en france le 26 septembre.
**Attention ce texte ne contient pas de spoilers **


     Compliance s'inspire d'une série de faits divers survenus aux Etats-Unis dans les années 2000, et notamment du dernier, dans un fast-food, en 2004, qui en a été l'épilogue. Dans tous ces cas, un inconnu appelait des employés de divers commerces pour leur donner des instructions à exécuter. Ces employés, de façon inattendue, faisaient ce qu'on leur ordonnait sans remettre en question l'éthique de ces instructions. 
     To comply signifie à la fois obéir et se conformer, en quelque sorte rentrer dans le rang. Et, dans ce film, les employés obéissent, mettent en oeuvre ce qu'on leur demande, jusqu'à des limites qu'on aurait peine à soupçonner. L'objet avoué du film, comme l'épilogue le révèle sur un mode très américain, est ainsi de répondre à la question : "pourquoi ont-ils obéi ?". 
     D'abord simples et demandant peu d'implication et de responsabilité de la part des victimes, les instructions données par téléphone par le manipulateur sont, une fois le sujet en situation d'obéissance, de plus en plus exigeantes, lourdes de conséquences et seraient dérangeantes pour la plupart des humains qu'on soumettrait à l'expérience. Le film montre d'ailleurs certains personnages qui refusent d'exécuter les instructions. Deux sur une dizaine. On peut s'interroger sur la proportion des sujets qui refuseraient réellement d'obéir dans une expérience similaire - les faits divers dont s'inspire le film sont ainsi au nombre de 70 en six années. 
     Or, cette expérience a bien été menée, il y a un certain nombre d'années, aux USA, avant Compliance et surtout avant les faits divers dont il s'inspire : Stanley Milgram, à l'université de Yale, en 1974, a mis en place un protocole expérimental mettant en présence trois sujets : le premier devait répondre à des questions, le second devait le punir en cas d'erreur en lui infligeant des décharges électriques de plus en plus fortes, le troisième représentait l'autorité et avait pour fonction de faire pression sur le bourreau quand sa volonté s'affaiblirait. Ce protocole était en fait destiné à tester le bourreau, ce qu'il était prêt à infliger à une victime sous la pression d'une autorité qu'il reconnaissait. L'expérience a eu pour conclusion principale la facilité avec laquelle les sujets à qui on donne les ordres les plus inhumains sont prêts à coopérer, à partir du moment où une autorité les dédouane de toute responsabilité.
     Car dans Compliance comme dans l'expérience de Milgram, il s'agit de constater le soulagement avec lequel la plupart des humains sont prêts à abandonner le poids de la responsabilité personnelle quand une autorité le leur propose : "donnez-moi des ordres ! que j'arrête pendant quelques minutes, quelques heures, d'assumer mon existence, mon jugement personnel et les conséquences de mes actes"... 
     Dans les faits divers dont s'inspire le film, ce qui est à l'oeuvre n'est pas l'étrange faiblesse de certains êtres devant un manipulateur mais leur troublant abandon devant une supposée figure d'autorité leur proposant de les soulager du poids de leurs décisions personnelles.
     Ce qui est en jeu n'est plus la force de dire non, mais le soulagement de dire oui. Ce qui apparaît dès lors comme la voie de la liberté et de l'indépendance pour l'être humain n'est plus l'opposition à la coercition mais bien le combat permanent et personnel pour le libre-arbitre. Ce combat est en nous, contre notre nature, car les manipulateurs paraissent ainsi simplement tentateurs d'une tendance à la soumission qui nous guette et nous séduit. 
     Voici pourquoi les sectes recrutent si facilement ; voici pourquoi les dictateurs sont si peu nombreux et leur influence si vaste ; voici pourquoi les guerres existent au détriment même de ceux qui combattent ; voici pourquoi la proie chasse toujours son prédateur...

     A noter : ce film a été classé 'R' (équivalent à X) aux états-unis pour la nudité et le langage utilisé, ce qui garantit que peu de gens le verront là-bas. En France, il a seulement été interdit aux moins de 16 ans.